Le Sahara algérien : un voyage en dessous du niveau de la mer
Il est très difficile de raconter un voyage dans le Sahara, tant l’expérience est unique. J’ai fait mes premiers pas dans le Sahara algérien lorsque j’avais 10 ans. Un voyage avec mes parents, une petite aventure qui m’a ouvert les portes d’une nature sauvage où l’humain n’a pas vraiment sa place.
Il y a quelques années j’ai décidé d’y retourner pour un projet photo. Si vous n’êtes pas passé par la rubrique “qui sommes-nous?”, je suis photographe animalier et guide de randonnée. Mon désir de retourner dans le Sahara a été motivé par mon amour pour les renards. Et dans les déserts d’Afrique du nord, il y a une espèce particulière de renard, le plus petit des canidés : le fennec !
En préparant ce voyage, j’ai découvert que le Sahara, qu’on imagine comme une immense plaine, un plat pays, a en réalité des reliefs. Il y a des collines, des montagnes et des hauts plateaux à 2000m d’altitude. Mais j’ai surtout découvert que certaines zones sont en dessous du niveau de la mer. Ces zones étaient d’immenses étendues d’eau et de verdure il y a quelques millénaires, suite à la fonte des glaciers du nord de l’Europe à la fin du dernier âge glaciaire. Aujourd’hui, tout à séché, on peut s’y balader à -60m sous le niveau de la mer !
Attention, si vous avez des phobies, sachez qu’il y a des photos et vidéos de serpents, scorpions et divers insectes dans ce carnet de voyage.
Le début de l’aventure : par où commencer ?
Je ne connais qu’une seule façon de voyager, surtout dans le cadre de mon travail de photographe : préparer mon sac à dos, prendre un billet d’avion ou de train et partir! Mais on ne va pas se mentir, on a beau avoir le cuir dur, l’idée de se retrouver au milieu du Sahara sans expérience, sans ressources, littéralement sans rien, n’est pas très rassurante.
J’ai donc commencé à fouiller sur internet pour trouver un point de départ, une idée ou une rencontre pour avancer. Je suis finalement tombé sur un mémoire de fin d’études consacré au fennec. Un fichier PDF, voilà mon point de départ! J’ai Googlé le nom de l’auteur et je l’ai retrouvé sur Facebook. Nous avons discuté, nous nous sommes appelés et avons convenu de nous rencontrer à mon arrivée. Il s’appelle Lamine.
Un hôte parfait!
Je vous résume l’histoire, car à mon arrivée, Lamine m’attendait à l’aéroport. Il m’a nourri et logé chez lui alors qu’il ne savait rien de moi. Autant vous dire que cette hospitalité, que je connais bien aujourd’hui, m’a bluffé à l’époque. Lamine et moi étions très différents. Notre principal point commun était l’amour de la nature. Mais nous avons passé des soirées à discuter. Nos points de vue étaient souvent différents, mais à aucun moment mon hôte ne s’en est offusqué. Je pouvais rester là autant que je voulais, c’était comme ça, c’était normal.
Les populations du Sahara algérien
Lorsqu’on parle du Sahara on pense aux populations Amazigh (Berbères), notamment les touaregs en Algérie, en Libye, au Niger et au Mali, mais il y a un grand nombre d’ethnies dont la culture et la langue sont différentes.
La région où je me suis rendu porte le nom de Oued Souf. Le nom est un pléonasme, les deux mots signifient la même chose, une rivière, le premier en Arabe, le second en Berbère. La population de cette région est originaire du Yémen et parle exclusivement un argot proche de l’Arabe (tandis que l’argot du nord est un mélange d’Arabe, de Berbère, de Turque et de langues du sud de l’Europe). Ces populations sont arrivées en Algérie assez récemment, autour du 14e siècle, et se sont établies autour d’une rivière aujourd’hui disparue, d’où le nom de la région. Cette dernière est toujours une oasis, mais l’eau douce se fait rare.
Les ethnies Amazigh (Berbères) du Sahara
Dans le désert, les populations sont isolées. A environ 200km au nord de Oued Souf, les populations sont Berbères de l’ethnie Chaoui, ils parlent donc le Chaoui. À 400 km à l’ouest, ce sont les mozabites, une autre ethnie Berbère. Le sud est le domaine des touaregs qui occupent un vaste territoire qui couvre quatre pays (Algérie, Libye, Mali et Niger). L’Algérie est un pays incroyable où les langues se succèdent comme les paysages et les cultures.
Par ailleurs, J’ai la chance de parler Arabe, Berbère et argot du nord. Je peux donc communiquer avec tous les gens que je rencontre, quelle que soit l’ethnie.
Mes premiers jours dans une petite ville du Sahara ?
Je suis arrivé à l’aéroport international de Guemar, petite ville perdue au nord du grand erg oriental. Pour quitter la ville et me rendre dans le désert, j’avais besoin d’un 4×4 et d’une personne qui connaît bien le désert. On n’y pense pas forcément, mais dans le Sahara, il ne suffit pas qu’une personne vous dépose quelque part, il faut encore qu’elle puisse vous retrouver.
Nous sommes donc parti avec Lamine à la recherche de l’ami d’un ami qui connait quelqu’un qui, peut être, a un 4×4. Bienvenue en Algérie : ici tout est possible, à condition d’y croire et d’être patient.
Nous avons fini par trouver Khaled qui a accepté de me conduire dans le désert, et Keddour qui nous accompagnera pour mémoriser le lieu. Keddour est un pisteur. Il connaît le désert comme sa poche et, là où vous verrez deux dunes similaires, lui vous racontera qu’il a campé dans l’une en 1986 et qu’il a failli être mordu par une vipère dans l’autre en 1992.
Une courte visite et un mariage traditionnel
Durant ces quelques jours de recherche, j’ai pu visiter la petite ville de Guemar, son souk, et assister à une cérémonie de mariage traditionnel. Durant ces cérémonies, des hommes vétus de tenues traditionnelles réalisent des accrobaties en tirant au fusil (à blanc, je précise). Le spectacle était assez impressionnant (et assourdissant lorsque le coup de feu était trop proche).
La Zaouïa Tidjaniya de Guémar
J’ai aussi eu la chance de visiter la Zaouïa Tidjaniya de Guémar. Une Zaouïa est une école coranique. Celle-ci est particulière car elle a été construite en 1789, à peine quelques années après la naissance du courant d’Islam soufi Tijaniyya. Les bâtiments sont construits en pierre et en gypse afin de conserver la fraîcheur, et des troncs de palmier dattier ont été utilisés en guise de poutres.
Durant les heures les plus chaudes, cette ville avait des aires de far west à l’algérienne. En début et fin de journée par contre, ça grouillait de vie, les commerçants s’activaient, les enfants allaient et rentraient de l’école, les parents faisaient leurs courses, et certaines zones ombragées de la ville devenaient des parcs où les jeunes se retrouvaient. Je suis toujours impressionné de voir ces oasis où l’humain a créé un environnement de vie au milieu de conditions extrêmes.
24h dans le Sahara ou le silence parfait!
Vivre quelques semaines dans le Sahara est une expérience particulière et unique!
Nous sommes partis en 4×4 de la ville de Guemar au crépuscule. Il faisait un froid sec et très agréable. Après une petite heure, nous quittons la route pour nous enfoncer dans le Sahara à travers les dunes. J’étais très excité à l’idée de l’aventure qui m’attendait et tous mes sens étaient en éveil. Nous nous arrêtions de temps à autre pour prospecter et explorer les environs avant de reprendre la route. Notre véhicule était une vieille et petite Toyota des années 70 et j’étais étonné de voir à quel point elle tenait la route. Khaled, notre chauffeur, ou plutôt notre pilote, gérait parfaitement le terrain. Il savait lire le sable et évitait les zones où nous risquions de nous enliser.
Au bout de deux heures de route, nous nous sommes arrêtés au pied d’une colline. La colline était à 50m au-dessus du niveau de la mer tandis que les alentours descendaient jusqu’à 40m en dessous. L’environnement m’a tout de suite plu : des dunes, de la roche, beaucoup de terriers de rongeurs et de fennecs, une zone propice au bivouac et surtout, du réseau mobile sur la colline, en cas de problème. J’ai annoncé à mes accompagnateurs que ce serait là ma maison pour quelques semaines.
Une galette au sable s’il vous plait !
A l’heure du déjeuner, j’ai eu la chance de découvrir comment les habitants du Sahara cuisinaient sous le sable. La technique est simple, ils brûlent quelques morceaux de bois sec (ce n’est pas ce qui manque à Oued Souf), ils posent une galette dessus et recouvrent le tout de sable. La chaleur est ainsi conservée et la cuisson homogène. Le résultat est excellent, mais ça croque un peu sous les dents! 🙂
Leave me alone please!
Il m’a été très difficile d’expliquer aux gens du désert que j’allais bivouaquer pendant plusieurs semaines. Dans leur esprit, j’était un petit fou venu du nord, qui veut vivre dans le Sahara seul, sans rien connaître des environs. Il m’a été difficile de leur expliquer que j’étais habitué à l’autonomie dans des régions extrêmes, que j’avais étudié chaque point, chaque contrainte et que bien entendu, j’acceptais le risque, même minime, d’un accident ou d’une mauvaise rencontre.
J’étais aussi bien équipé. Un équipement qui n’existe pas là- bas. J’étais donc serein, mais il m’a fallu redoubler d’arguments pour les convaincre qu’ils devaient partir, et ne pas revenir avant un coup de fil de ma part dans deux ou trois semaines.
Home sweet home
Laissez-moi vous décrire un sentiment : vous arrivez dans un endroit où l’humain est complètement absent, et pour cause, les éléments sont hostiles! Vous décidez que désormais, pour le moment, pour un temps, cet endroit est votre maison, votre chez vous. Vous faites connaissance comme si vous rencontriez une personne. Mais pour faire connaissance, vous ne posez aucune question, vous ne partez d’aucun préjugé, vous observez, vous ouvrez grand les yeux, les oreilles et les narines. Le temps ralentit considérablement. Chaque seconde semble peser une éternité. Votre instinct vous guide, votre cerveau enregistre une grande quantité d’informations.
Au bout d’une journée et de deux crépuscules, vous vous réveillez d’un sommeil profond et vous ouvrez les yeux sur un endroit que vous connaissez.
En 24h, un endroit qui vous était totalement étranger devient plus que familier. Vous êtes rassuré, vous vous sentez en sécurité, heureux, vous êtes chez vous! Voilà le genre d’émotions que mon instinct me fait vivre à chaque fois que je m’installe quelque part, loin de la civilisation, proche des éléments.
Le silence parfait ou l’angoisse des citadins!
S’installer provisoirement dans le Sahara, dans une nature complètement sauvage, est une expérience aux multiples facettes. J’ai découvert lors de mon premier voyage dans le Sahara algérien la véritable signification du mot silence. En l’absence d’objets, de bâtiments, d’arbres, de montagnes, il n’y a pas de réverbération. Autrement dit, le son ne peut rebondir, il s’en va, il disparaît. Pas de rivières non plus, de ruisseaux qui coulent comme une présence.
Durant mes premières 24h seul, au milieu des dunes, aucun bruit extérieur, aucune musique, aucun chuchotement ne pouvait me détourner de mon bruit intérieur. Et c’est là que l’angoisse s’installe. Imaginez que vous entendez tout ce qui se passe en vous, un désagréable bourdonnement dans votre tête, le bruit de la ville que vous avez emporté avec vous, chacune de vos articulation qui grince au moindre mouvement, les grains de sable qui roulent à chaque fois que vous bougez, votre estomac qui dit “j’ai faim” ou “j’ai trop mangé”, vos tympans qui se bouchent, se débouchent comme si vous fermiez une vieille porte de placard.
Mais ce qui m’a mis dans un état proche de la panique est que je pouvais clairement m’écouter penser. Chaque pensée était clairement audible. Et j’ai découvert qu’il n’était pas forcément nécessaire d’écouter tout ce que le cerveau produisait comme pensées.
La paix, enfin!
Au bout de 24h, le cerveau s’est calmé et j’ai commencé, progressivement, à apprécier le silence, le vrai! Je me suis habitué aux bruits intérieurs, le bourdonnement dans ma tête a cessé et chaque sieste, chaque sommeil, étaient les plus reposants et réparateurs que j’ai jamais connus. A partir de ce moment, j’ai apprécié chaque seconde dans le Sahara !
La vie sauvage dans le Sahara algérien
Comme je l’expliquais au début de ce carnet de voyage, la raison de mon voyage dans le Sahara algérien est de découvrir et documenter la vie sauvage, et d’observer et photographier le plus petit des renards, le fennec.
En arrivant dans le Sahara, l’impression qui domine est qu’aucun être vivant ne peut vivre dans ces conditions. La vie paraît totalement absente, à l’exception de quelques buissons ici et là qui profitent de la proximité de la nappe phréatique.
D’ailleurs parlons-en, de cette nappe phréatique. J’ai choisi de me rendre dans une zone située en dessous du niveau de la mer pour cette raison. A -60m sous le niveau de la mer, l’eau souterraine est plus proche, ce qui permet à certaines espèces végétales adaptées au milieu de survivre. Et qui dit végétaux, dit insectes, reptiles, rongeurs et oiseaux. Les prédateurs (mammifères et oiseaux) peuvent alors s’installer. Autrement dit, la proximité de la nappe phréatique crée une chaîne alimentaire et permet à une faune adaptée de vivre dans ce milieu.
Les animaux du Sahara algérien
Les animaux du Sahara sont des espèces qui se sont adaptées à ce milieu au fil des millénaires. Ces adaptations concernent essentiellement trois aspects : la capacité de survivre sans eau douce, la capacité d’évacuer efficacement la chaleur et enfin la capacité de survivre avec un minimum de nourriture. De fait, les animaux ont rapetissé pour limiter leurs besoins énergétiques, ont développé des systèmes d’évacuation de la chaleur et obtiennent toutes l’eau dont ils ont besoin de leurs proies, qui ellent l’obtiennent d’autres proies ou de végétaux. Autrement dit, l’eau reste toujours interne au vivant, elle ne voit jamais le jour!
Par exemple, le fennec, comparé à son cousin le renard roux, est trois à quatre fois plus petit. Sa petite taille lui permet de se contenter de peu de nourriture. Ses oreilles, surdimensionnées, lui permettent d’évacuer la chaleur rapidement. Et enfin, il obtient toute l’eau dont il a besoin de ses proies. Les insectes par exemple sont constitués à 70% d’eau.
Durant mes voyages dans le Sahara algérien, j’ai eu la chance d’observer de nombreuses espèces. Des oiseaux comme le traquet du désert qui a été mon premier compagnon à rompre le silence. J’ai croisé quotidiennement divers espèces de lézards, mais aussi des animaux venimeux comme la vipère des sables et les scorpions. J’ai d’ailleurs échappé de justesse à un accident.
Des animaux incroyablement discrets!
Il y aussi de drôles d’animaux dans le Sahara algérien comme la mérione de Libye. Ce rongeur de taille moyenne, qui a des aires d’hermine, a développé des stratégies assez incroyables pour survivre.
D’abord, il m’a fallu une bonne semaine pour me rendre compte qu’il y avait un terrier de mérione à 30m de ma tente. Et pour cause, ce petit rongeur parano recouvre son terrier après chaque entrée et sortie pour éviter les attaques de vipères. Une fois le terrier repéré, j’ai dû redoubler d’ingéniosité pour réussir à me camoufler, car au moindre bout de tissu qui dépasse, la mérione refuse de sortir.
Enfin, j’ai dû utiliser uniquement du matériel silencieux pour réaliser des images. La mérionne était très sensible au moindre bruit de déclenchement.
Des insectes 2.0
Côté insectes, le Sahara algérien est riche ! J’ai eu la chance d’observer la fourmi argentée du Sahara (Cataglyphis bombycina) qui peut survivre à des températures de 70° et sprinter à 85cm par secondes, soit 108 fois la taille de son corps!
Autre curiosité, la fourmi noire du Sahara (Cataglyphis fortis). Cette fourmi de taille moyenne se repère grâce à la position du soleil et possède un système similaire à un podomètre pour mesurer les distances et ne pas se perdre. Encore d’incroyables adaptations!
Le scarabée noir du Sahara (Pimelia consobrina) est très présent, autant dire partout, tout le temps. Le moindre morceau de nourriture par terre attire ce scarabée de taille moyenne. Je m’y suis vite attachée. Après les mouches, c’est certainement l’insecte que j’ai le plus côtoyé. Il y avait de nombreuses autres espèces de scarabée, la majorité de couleur noire ou argentée.
Le plus impressionnant est certainement le carabe bicolore (Anthia sexmaculata). Ce scarabée d’une taille imposante se déplace très vite (un peu flippant d’ailleurs) et a la capacité de cracher un liquide irritant lorsqu’il se sent menacé.
La végétation du Sahara algérien
J’ai eu l’immense chance de vivre une tempête de pluie dans le Sahara algérien. Et j’ai eu l’immense chance d’observer la rosée dans le Sahara. Ces deux événements rares sont le commencement de tout. Ils apportent l’eau qui va permettre la vie durant plusieurs années. Cette eau est immédiatement consommée par les plantes et les insectes. Une partie de cette eau rejoint la nappe phréatique, une autre partie s’évapore en moins de 12 heures. Passé ce délai, le Sahara retrouve son apparence de la veille.
Les adaptations des plantes au Sahara
Comme les animaux, les plantes du Sahara ont évolué pour s’adapter à la sécheresse extrême. Elles ont développé d’une part des systèmes racinaires profonds capables de trouver la moindre goutte d’eau dans les couches profondes du sol, et d’autre part des systèmes pour limiter l’évaporation d’eau. Leurs feuilles sont souvent petites et de forme arrondie pour limiter l’absorption de lumière. Autrement dit, tout l’inverse des plantes des régions tempérées qui ont des feuilles grandes et plantes.
Dans le Sahara, certaines plantes produisent des substances cireuses qui recouvrent les feuilles et limitent la perte d’eau. D’autres produisent des graines à la coque étanche qui augmente leur durée de vie et leur permet de tenir jusqu’à l’arrivée des pluies.
Comme je le disais plus haut, j’ai eu la chance de vivre une journée de pluie dans le Sahara algérien. Mais plus incroyable encore, j’ai pu assister les jours suivants aux floraisons et germinations. Au petit matin, j’ai découvert des milliers de graines qui avaient germées, des plantes qui ont produit des fleurs à une vitesse incroyable, des tiges et des feuilles sorties du sable en moins de 24h. Dans les régions extrêmes, au Sahara comme en Arctique, les fenêtres sont courtes, alors la végétation est rapide, elle profite de la moindre opportunité pour se reproduire et se développer.
J’ai vécu ce spectacle comme un privilège. J’ai assisté à une explosion de vie dans un environnement aussi aride que le Sahara !
Des systèmes de défense hostiles
Dans le Sahara algérien, la végétation est également hostile. Les feuilles et les tiges des plantes sont essentiellement faites d’épines et autres systèmes de défense assez efficaces. D’ailleurs certaines produisent des épines durs comme du métal. J’ai percé ma tente et mon matelas gonflable avec des boules d’épines qui s’accrochaient à mes chaussures lorsque je marchais. Ces épines pénètrent même des semelles de chaussures de marche (en caoutchouc dur).
Un formidable terrain de jeu pour quiconque aime l’exploration
Le Sahara est un livre ouvert. Après une tempête de sable, le sol est vierge de toute empreinte. C’est le moment idéal pour commencer à observer ce qui se passe quand on a le dos tourné. J’ai été impressionné par l’activité des animaux qui était à la fois importante et très discrète. Ainsi, en 24h, le sol était à nouveau rempli d’empreintes que je m’empressais de lire et de suivre, pour comprendre qui est allé où, qui a attaqué qui, qui habite où, etc. Si vous aimez l’exploration, alors ce terrain de jeu est fait pour vous !
Le Sahara, sous le niveau de la mer, est aussi un terrain d’exploration pour les matériaux et autres fossiles. J’ai par exemple été stupéfait de trouver des coquillages. Il suffit de passer la main pour filtrer le sable et découvrir des vestiges d’une autre époque.
Autre curiosité, le gypse. Cette roche sédimentaire très tendre se forme dans les marais salants. Et dans cette région en dessous du niveau de la mer, le sel est partout. J’ai donc régulièrement croisé des formations plus ou moins importantes.
Les contraintes du bivouac dans le Sahara
J’ai l’habitude de bivouaquer sur plusieurs semaines. Pour les besoins d’un projet photo, j’ai dû apprendre à vivre en autonomie dans les régions arctiques. En tant que guide, j’emmène des groupes, notamment en Islande, loin de la civilisation sur plus de 10 jours en complète autonomie, dans des conditions assez difficiles. Mais malgré ça, je n’étais pas préparé à ce que j’allais vivre dans le Sahara ! Je vous raconte ici les principales difficultés.
L’eau!
Evidemment, la première contrainte du bivouac dans le désert est l’eau !
J’ai l’habitude de randonner en itinérance, parcourir des centaines de kilomètres, établir des camps dans des coins isolés. Mais dans le Sahara algérien, j’ai dû m’adapter. L’absence d’eau m’a obligé à avoir un camp fixe, pour stocker les dizaines de litres d’eau dont j’avais besoin. J’explorais ensuite en étoile, en rentrant le soir au campement.
De caractère plutôt optimiste, j’ai pris cette contrainte de façon positive. Ça m’a permis de bien connaître les zones que je visitais, de m’attarder sur les points d’intérêt et d’observer les mêmes animaux chaque jour, ce qui est l’idéal pour comprendre comment la nature fonctionne.
L’absence d’eau peut aussi être une source de stress, la peur de ne pas en avoir assez. Durant mon premier séjour, j’ai évalué précisément la quantité d’eau dont j’avais besoin et je me suis assuré de respecter chaque jour cette quantité. L’expérience a été éducative pour moi. Vivre dans un monde sans eau permet de prendre conscience malgré soi de ce qui est précieux, ça vous marque, ça vous éduque!
Durant mes séjours dans le Sahara algérien, l’utilisation d’eau était exclusivement réservée à l’alimentation et l’hydratation. Autrement dit, je ne me suis jamais lavé dans le Sahara. J’ai vite compris que le faible taux d’humidité permettait de parfaitement évacuer la transpiration. Le résultat est qu’on ne se sent jamais sale, et que les vêtements ne puent pas.
Par ailleurs, le sable joue aussi un rôle dans l’hygiène en accrochant le gras. Il suffit de s’épousseter pour enlever à la fois le sable et ce qu’il accroche.
Un taux d’humidité très bas (autour de 15%)
J’ai toujours vécu dans des régions, en bord de mer ou en montagne, où le taux d’humidité était plutôt élevé. Durant ces voyages dans le Sahara algérien, j’ai découvert des taux d’humidité très bas, autour de 15%.
L’avantage d’un taux d’humidité aussi bas est que la transpiration s’évapore instantanément. Comme je l’expliquais plus haut, on se sent toujours propre. Mais les inconvénients sont nombreux! Deux conséquences m’ont été particulièrement pénibles : D’une part la soif permanente (même après avoir bu 5L d’eau en une seule journée), et d’autre part la peau qui se dessèche !
Au bout de quelques jours dans le Sahara, la peau commence à craquer, des crevasses similaires à celles provoquées par l’eczéma apparaissent. Ces crevasses ne sont pas douloureuses, contrairement à la peau qui se rétracte autour des ongles. Ce phénomène apparaît au bout de 2 à 3 jours et commence à provoquer des douleurs à partir d’une semaine dans le désert.
Ce sentiment de dessèchement était encore plus important durant les tempêtes de sable. La peau se dessèche encore plus vite. Le faible taux d’humidité, la poussière sur la peau et le vent chaud est un trio redoutable pour la déshydratation. Je n’ai pas vraiment trouvé de remède à ce problème, à part boire de l’eau toute la journée.
Les vents de sable
J’ai vécu pas mal d’aventures et de moments délicats en pleine nature, mais je mettrais les vents de sable à la première place des galères toutes catégories confondues!
Comment vous expliquer, passer plusieurs jours à supporter du sable partout, y compris dans la bouche, le nez, les yeux, y compris à l’intérieur de la tente, peut rendre fou!
Les tempêtes de sable commencent au mois de mars et ne s’arrêtent véritablement qu’en plein été, au mois de juillet. Durant mon second séjour dans le Sahara algérien qui a duré 15 jours, je n’ai eu que deux journées sans tempête. Autrement dit, le désert peut vite se transformer en enfer sur terre!
Les vents de sable réduisent considérablement la visibilité, ils contribuent grandement à la déshydratation. Le sable passe absolument partout. De fait, j’ai laissé tomber l’idée de m’abriter. J’ai vécu ces épisodes comme des défis psychologiques. L’idée, pas forcément évidente, était simplement d’accepter, de ne pas lutter.
Pour mon matériel photo et vidéo, j’avais prévu des sacs poubelles dans lesquels je mettais mon matériel à l’abri. ça a plutôt bien fonctionné. Que ce soit au Sahara ou sur les plages, je vous recommande d’ailleurs de protéger vos appareils photo. Le sable est redoutable pour abîmer un objectif.
Le sable, un terrain éprouvant pour les genoux
J’ai récemment fait un article où j’explique comment s’entraîner pour un trek. Concernant le Sahara, la marche a été très éprouvante pour les articulations, surtout les genoux. Le petit mouvement supplémentaire qui est provoqué par les pieds qui s’enfoncent dans le sable n’est pas des plus confortables pour marcher, et au bout de quelques jours, mon corps me l’a fait remarquer.
Je me suis rappelé avoir entendu dire que le meilleur moyen de marcher sur le sable était de le faire pieds nus. Je confirme que ça fonctionne parfaitement et que ça soulage. Mais comment marcher pieds nus au milieu des serpents et des scorpions ? J’ai donc fait en fonction de la situation. Tôt le matin ou en fin d’aprem, je marchais avec mes chaussures. Aux heures les plus chaudes, lorsque les animaux venimeux sont terrés, je marchais pieds nus pour reposer mes articulations.
Plus j’étais physiquement préparé à mes voyages dans le Sahara algérien, moins j’ai ressenti de gêne aux articulations. Une bonne préparation physique et des étirements quotidiens ont très bien fonctionné pour moi.
Enfin, sans même m’en rendre compte, je me suis mis à choisir où je marchais. J’évitais les petites dunes (où le sable est léger) et privilégiais les petits passages où le sable était plus dense. En exagérant le relief, je pourrais dire que je privilégiais les vallées aux montagnes.
Gaffe aux piqûres et morsures
Je ne vais pas vous le cacher, autant j’adore les serpents, en particulier les vipères, autant j’étais particulièrement stressé à l’idée de poser la main ou le pied par accident sur un scorpion. Et dans la région de Oued Souf, en dessous du niveau de la mer, l’abondance de végétation, donc d’insectes, a créé un terrain favorable pour les scorpions qui y sont présents en nombre!
Dans le Sahara, les scorpions sortent de leur tanière la nuit venue. Autrement dit, au moment où on ne peut plus les voir. En plus d’une barrière anti scorpion que j’ai installé autour de ma tente, je me suis obligé à ne jamais m’asseoir sur le sable le soir. La seule fois où je l’ai fait (j’avais pris la confiance…), j’ai retiré ma main à 10cm d’un scorpion, la panique était totale !
Les fois où j’ai bivouaqué dans le Sahara algérien sans barrière anti scorpion, j’ai utilisé un bâton pour secouer la tente avant d’y entrer et avant d’en sortir. Les scorpions sont particulièrement sensibles aux vibrations. La meilleure façon de s’en prémunir et de les faire fuir.
Quant aux serpents, j’ai passé un bon mois dans le Sahara avant de croiser une vipère des sables. Son camouflage est tel qu’il est pratiquement impossible de la débusquer. Sur la photo de gauche, vous pouvez voir la vipère enterrée sous le sable. La photo de droite est celle que j’ai réussi à obtenir une fois que la vipère a fini son affût.
Cependant, je précise qu’avant de la voir, j’ai posé mon pied à 30cm sans qu’elle ne bouge. Les accidents sont rares, la vipère n’attaque que si elle se sent réellement menacée!
Les petites contraintes
Il y a d’autres contraintes lorsqu’on bivouac dans le Sahara. Il est par exemple très facile de se perdre. Je me suis entraîné pas mal de temps à essayer de me repérer, et je vous promets que ce n’est pas une mince affaire. J’y suis arrivé lorsque j’ai compris comment cumuler les informations : position du soleil, relief et détails dans l’environnement. Une seule de ces informations ne suffit pas pour se repérer. Je me rappelle par exemple m’être perdu parce que j’avais tourné la tête une fois, une seule fois!
De fait, j’avais pris mes précautions! J’avais pris deux batteries (powerbank) et un panneau solaire pliable (j’en parle dans mon article “batterie ou panneau solaire de randonnée, que choisir?”). J’utilise aussi l’application smartphone OSMAND, qui me permet de télécharger des cartes openstreetmap hors ligne et d’utiliser le GPS pour m’y repérer. Tant que j’avais de l’électricité, tout allait bien. J’ai donc fait en sorte de ne jamais en manquer!
Ce que le Sahara algérien m’a appris
Le Sahara a été pour moi l’expérience d’une vie. Ces quelques séjours où j’ai vécu en autonomie, seul, loin de toute civilisation, ont grandement contribué à mon éducation à la nature, à l’essentiel.
J’ai découvert qu’on pouvait vivre avec le minimum, dans un environnement minimaliste, sans jamais s’ennuyer. J’ai compris que l’ennui venait des villes, du temps qui passe trop vite, d’une culture de l’immédiateté. J’ai rendu au temps sa vraie valeur et je l’ai l’apprécié pour ce qu’il était, la vie, et non pour ce qu’il nous permet de faire, consommer.
Nous voulons tout et tout de suite parce que nous sommes embarqués dans ce système qui ne nous laisse pas nous arrêter, regarder en arrière, réfléchir. Le Sahara m’a appris que le temps pouvait ralentir, nous permettre de penser, de prendre du recul.
Ces voyages dans le Sahara algérien m’ont également permis d’apprendre à gérer les ressources, notamment l’eau. Le fait même de comprendre où s’arrête mon besoin et où commence le gaspillage a été un formidable progrès pour moi.
Enfin, j’ai profité de chaque instant dans le désert pour observer la vie, les animaux, les plantes, les insectes. Découvrir les formidables capacités et adaptations de la vie sauvage dans cet environnement m’a passionné et continue de me passionner!
Mon prochain voyage dans le Sahara algérien : Djanet, à la frontière libyenne!
Après le Oued Souf, je me prépare pour plusieurs séjours à l’extrême sud-est de l’Algérie, dans le parc culturel du Tassili n’Ajjer. Le parc est frontalier de la Libye et du Niger.
Le Tassili n’Ajjer est certainement la région la plus fascinante d’Algérie. Pas moins de 15 000 gravures rupestres de différentes époques préhistoriques y ont été répertoriées. La nature y est incroyable et sauvage. Cette fois, le Sahara ne sera pas en dessous du niveau de la mer mais sur un plateau haut de 2000m d’altitude.
Je ne manquerai pas de vous raconter les aventures à venir sur The fox diary 😉